Pour juguler les maladies virales endémiques ou épidémiques, qui sont de véritables fléaux dans nombre de régions du monde, il est essentiel de contrôler leurs vecteurs, généralement des insectes, pour les empêcher de proliférer. Cependant, de nombreuses espèces se sont adaptées en développant une résistance aux molécules utilisées. Plusieurs instituts du Réseau se sont mobilisés pour étudier ce phénomène et développer des stratégies alternatives. Le moustique, vecteur des maladies virales et première cause animale de mortalité humaine, concentre naturellement une grande partie des efforts de recherche.
la surveillance DES POPULATIONS DE MOUSTIQUES RESISTANTS
Chikungunya, dengue, Zika… Ces maladies virales dangereuses pour l’homme, sont transmises par différentes espèces de moustiques. En l’absence de vaccins efficaces (excepté pour la fièvre jaune et l’encéphalite japonaise) et/ou de traitements spécifiques, la lutte contre ces maladies passe par le contrôle, souvent chimique, des vecteurs qui les transmettent. En complément, les populations sont encouragées à nettoyer les gites larvaires. Ces stratégies ont pour objectif de limiter la densité de moustiques qui est associée à un risque plus élevé de transmission des arbovirus.
Cependant, l’utilisation massive des insecticides a pour conséquence l’adaptation des populations d’insectes à ces molécules et donc une perte d’efficacité de ceux-ci.
C’est le cas du moustique Aedes aegypti, vecteur notamment de la dengue et d’autres arbovirus. Un exemple de molécule utilisée à l’échelle mondiale contre les moustiques adultes est la deltaméthrine, un pyréthrinoïde commercialisé depuis une vingtaine d’années et largement appliqué en santé publique et en agriculture du fait de sa faible toxicité pour l’homme. Dans un contexte de forte résistance dans la plupart des territoires français d’outre-mer, le projet REAGIR[1] financé par l’ANSES a permis de poursuivre la collaboration entre l’Institut Pasteur de la Guyane et celui de Nouvelle-Calédonie. Il a notamment eu pour objectif de mieux comprendre l’évolution de la résistance aux pyréthrinoïdes et ses mécanismes au sein des populations d’Aedes aegypti. Les populations de Guyane se sont avérées beaucoup plus résistantes à la deltaméthrine que celles de Nouvelle-Calédonie. Les marqueurs moléculaires de résistance ont également pu être identifiés et démontrent une résistance quasiment fixée en Guyane. A l’Institut Pasteur de Guadeloupe, un état des lieux sur la situation chez les moustiques Aedes aegypti et Culex quinquefasciatus a démontré que les deux espèces ont développé une résistance très importante à plusieurs insecticides, avec plusieurs mécanismes de résistance identifiés. Egalement, une Action Concertée Inter-Pasteurienne (ACIP) portée par l’Institut Pasteur de Bangui en association avec l’Institut Pasteur de Madagascar et de la Guyane, a investigué la résistance des Aedes albopictus et Aedes aegypti afin de rechercher les mécanismes moléculaires et d’identifier des marqueurs fiables et précoces pour la surveillance.
Plus globalement, le constat est sans appel: partout dans le monde, les insecticides, utilisés en masse sont de moins en moins efficaces. L’exposition répétée des populations de moustiques à ces insecticides sélectionne les individus résistants. Face à ce constat, l’urgence est de dresser un état des lieux, de mener une surveillance régulière afin de mettre en place des stratégies de gestion de la résistance et des méthodes de lutte alternatives.
LA GESTION DE LA RESISTANCE AU LAOS ET AU CAMBODGE
Le Laos et le Cambodge sont régulièrement frappés par des épidémies de dengue. Les pouvoirs publics de ces deux pays ne restent pas inactifs. Les actions mises en oeuvre, consistant en l’épandage de grandes quantités de larvicides de la familles des pyréthrinoïdes, se sont révélées jusqu’à présent nuisibles et surtout inefficaces, et pour cause ! L’Institut Pasteur du Laos et l’Institut Pasteur du Cambodge ont en effet chacun mis en évidence que tous les moustiques sont devenus résistants aux insecticides utilisés pour la lutte. Le Laos[2] a rapidement réagi aux recommandations formulées par les instituts, en interdisant le téméfos, pour le remplacer par un insecticide biologique, le Bacillus thuringiensis var. israelensis (BTI) déjà utilisé à l’échelle mondiale et pour lequel les moustiques ne sont pas résistants. Les deux Instituts ont l’habitude de travailler ensemble sur la thématique des insectes vecteurs. Ils sont en effet de nouveau partenaires dans le cadre du deuxième volet du projet ECOMORE (ECOnomic Development, ECOsystem MOdifications, & Emerging Infectious Diseases Risk Evaluation), financé jusqu’en 2020 par l’Agence Française de Développement.
DES STRATEGIES ALTERNATIVES A L’ETUDE
Parmi les stratégies alternatives aux insecticides, l’une des plus prometteuses, testée en Nouvelle-Calédonie, a pour nom Wolbachia[3]. Il s’agit d’une bactérie dotée de propriétés particulièrement intéressantes : bien qu’Aedes aegypti en soit dépourvu naturellement, lorsque Wolbachia est innoculée artificiellement au moustique, elle s’y établit et se transmet à la descendance. Surtout, la bactérie ralentit la multiplication du virus dans le moustique et rend celui-ci inapte à transmettre le virus lors d’une piqure. Le lacher des moustiques infectés dans la nature entraine la diffusion de la bactérie dans les populations Aedes aegypti et donc prévient la transmission de la maladie.
A l’Institut Pasteur de Guadeloupe, la recherche de méthodes alternatives a pour but d’identifier des phéromones du moustiques d’Aedes aegypti. L’objectif est de mettre en place des dispositifs d’attraction/répulsion des moustiques afin de réduire le contact homme-vecteur ou de créer une confusion sexuelle pour perturber l’accouplement. Une première cartographie d’odeurs émises par le moustique Aedes aegypti tout au long de son dévéloppement a été réalisée sur la période 2016-2018[4].
[1] Avec le LECA (Grenoble) et l’IRD (Montpellier). Dusfour I. Résistance aux pyréthrinoïdes chez Aedes aegypti: évaluation de nouveaux candidats insecticides et étude du phénomène de réversion. Les cahiers de la Recherche. Santé, Environnement, Travail, ANSES, 2017.
[2] Alternative insecticides for larval control of the dengue vector Aedes aegypti in Lao PDR: insecticide resistance and semi-field trial study. Marcombe S et al. Parasit Vectors, décembre 2018. Doi: 10.1186/s13071-018-3187-8.
[3] Avec l’université de Monash, la DASS Nouvelle Calédonie et la mairie de Noumea : www.eliminatedengue.com
[4] Avec l’Académie des Sciences de l’Agriculture de Shandong, Chine. Cartography of Odor Chemicals in the Dengue Vector Mosquito (Aedes aegypti L., Diptera/Culicidae). Wang F et al. Scientific Reports, 11 juin 2019. Doi:10.1038/s41598-019-44851-7
